Pascal Paoli est né au hameau de la Stretta – commune de Morosaglia, le 5 avril 1725 de Giancintu Paoli et de Denise Valentini. Sa date de naissance est confirmée par Paoli lui-même dans une de ses lettres datées du 20 avril 1805 où il écrit « bien que je sois entré, le 5 de ce mois, dans ma 78e année, je forme encore des projets ». Il fut baptisé le 7 avril et reçut les prénoms de Philippe, Antoine, Pascal.
Son enfance se passe au milieu des révoltes. Il a 4 ans et demi lorsque le premier soulèvement éclate dans le Boziu « la révolte des deux seini ». Il entendit parler de la fuite des soldats génois, de la réunion d’une Consulte nationale à San Pancraziu, de la nomination comme chefs de la nation d’Andréa Colonna-Ceccaldi, de Luigi Giaffieri et de l’abbé Raffaelli.
Son père, Giacinto Paoli qui fut l’un des trois grands meneurs de la révolte contre Gêne est contraint à l’exil. Il s’embarque pour Naples le 7 juillet 1739 avec son fils Pascal alors âgé de 14 ans. Son frère aîné, Clemente, reste dans le Rostino dans le but d’y gérer le patrimoine familial.
Sa formation professionnelle :
À 16 ans, Pascal s’engage au sein de l’armée napolitaine au grade de cadet, il est intégré au régiment de son père. Durant un an, entre 1742 et 1743, il servira à Gaète avant de retourner à Naples. Il rentre alors au sein de l’Académie militaire royale d’artillerie. Un an avant son retour en Corse, il sert au sein du Royal Farnese à Syracuse et à l’île d’Elbe.
Sa carrière militaire à Naples sera brève, car Paoli appelé en 1755 par son frère Clemente dans le but de conduire la révolution corse, décide de démissionner.
Sa formation intellectuelle :
Le XVIIIe siècle est le Siècle des lumières. C’est en 1748 que Montesquieu expose sa théorie sur la séparation des pouvoirs dont l’objectif et de prévenir l’arbitraire de la part du « Prince ». Les idées nouvelles abondent et le jeune Paoli alors étudiant à Naples les intégrera.
En premier lieu, Pascal Paoli reçoit l’influence du philosophe Genovesi (1713-1769).
Le roi Charles VII désireux de réveiller l’université de Naples avait fait appel à des maîtres réputés dont parmi eux Antonio Genovesi. Ce dernier bénéficiait d’un prestige au sein de l’Europe entière. Homme lettré, il avait certainement lu la Cyclopedia de Chamber parue à Londres selon Georges Oberti. Entre autres il fut l’auteur en 1752 d’une Histoire du commerce de la Grande-Bretagne. Genovesi est professeur d’éthique à l’université de Naples.
Il reste à déterminer qu’elle a été la réelle influence de Genovesi sur Pasquale Paoli ?
L’historien Corse Fernand Ettori a publié un article à ce sujet en 1974. Pour l’auteur, l’influence est difficile à mesurer. Il rejette aussi deux thèses qu’il juge abruptes. La première serait que Paoli ne lui doit rien, la seconde est qu’il lui doit tout.
Selon les thermes mêmes du professeur Ettori, l’affirmation de sources reste imprudente et il convient mieux alors de rechercher des traces d’une influence générale.
Ainsi, M.Ettori est frappé par l’ouverture d’esprit de Pasquale Paoli. Il retient en exemple son attitude face à la religion. Arrivé à l’âge adulte il abandonne nombres de pratiques qu’il juge étroites et s’intéresse aux hérétiques au travers du livre l’Apologie pour les Quakers, de Robert Barclay.
Un « disciple » de Machiavel ?
Toujours au sein de cet article, Fernand Ettori s’interroge sur l’influence de la pensée de Machiavel sur Pasquale Paoli.
Les adversaires les plus farouches de Paoli ont longtemps défendu la thèse que le futur général a entièrement bâti sa philosophie de gouvernement sur les préceptes du secrétaire Florentin.
Tout cela reste à relativiser. Au moyen de sa correspondance, nous savons que Paoli fut un lecteur et disciple de Machiavel. Mais l’influence de l’auteur s’est exercée à différents niveaux.
Au moment de la prise de pouvoir en 1755, il est certain que Paoli s’est servi des principes machiavéliens dans le but d’affaiblir les résistances locales et y créer des partis Paolistes. En effet à ces débuts, le gouvernement du jeune Royaume de Corse ne fait pas l’unanimité et il convient de parvenir à l’unité de la jeune Nation.
« Faire d’une colonie en révolte un État souverain reconnu par les puissances, forger à l’intérieur les ressorts du pouvoir, déjouer les convoitises à l’extérieur, et cela au milieu des factions et des guerres, c’était bien là l’occasion pour un principe nuovo de démontrer sa vertu. »
Fernand Ettorri en vient à cette conclusion : « Quel meilleur maître que Machiavel qui adresse précisément ses conseils, à un souverain au pouvoir récent et mal assis, à ce principe nuovo qu’était Paoli lui même ?
Première partie : « Toute l’Europe est Corse » (Voltaire)
À cette date, les chefs corses en lutte contre la République de Gêne réfléchissent à la nomination d’un Capu Generale di à Nazione (Général en chef de la Nation) susceptible d’assumer le défi impossible que représente la fin de la colonisation génoise. D’abord pressenti, le frère de Pasquale Paoli, se désiste estimant que son frère possède de meilleures compétences que les siennes pour assumer la fonction. À l’âge de 30 ans, Pasquale Paoli quitte Naples et le régiment du Royal Farnese afin de relever le défi. Sa nomination reste à être acquise par la Cunsulta générale qui doit se tenir au couvent de San’Antone della Casabianca.
La consulta de San’Antone della Casabianca, les 13-14 juillet 1755
Paoli se présente contre Emmanuel Matra. Si le premier est élu contre le second, cette défaite nourrira la rancœur de Matra qui ne cessera de vouloir la fin de Paoli, plongeant la Corse dans une véritable guerre civile entre Paolistes et Matristes.
La Constitution de Pasquale Paoli
« Notre administration se doit d’être aussi claire que du cristal, chaque zone d’ombre favorisant l’arbitraire ainsi que la méfiance du Peuple ».
Le jeune général, ayant été aux contacts des idées nouvelles du 18e siècle, fin lecteur de Montesquieu désire de forger pour le jeune État, une Constitution.
Loin d’être un simple texte distribuant le pouvoir, la Constitution de Paoli est la première Constitution moderne établissant la souveraineté du Peuple et une séparation des pouvoirs. En effet, le législatif et l’exécutif seront distincts, seule la justice demeure dans les mains du Général. Aussi l’assemblée représentant le peuple est élue et directement sur une base de suffrage très large.
« La Diete générale, représentant le Peuple Corse, seul maître de lui-même, convoqué par les formes légales par le général dans la ville de Corte, les 16, 17, 18 novembre : voulant, après avoir reconquis sa liberté, donner une forme durable et constante à son gouvernement en le constituant de telle façon qu’il en dérive le bonheur de la Nation… »
Le préambule du texte affirme la souveraineté du Peuple alors que l’Europe est gouvernée par des monarchies absolues de droit divin. Les mots « seul maître de lui même » symbolisent l’aspect précurseur du texte. C’est sur ce point précis que se trouve le génie de Paoli qui écrit la première constitution démocratique moderne qui sera citée en exemple par les « Insurgent » américains. Les fils de la Liberté de Philadelphie donneront à leur taverne le nom de « Paoli tavern », ensuite sera créée Paoli City en Pennsylvanie.
« Il est encore en Europe un pays capable de législation, c’est l’île de Corse. La valeur et la constance avec laquelle ce brave Peuple a su recouvrer et défendre sa liberté mériteraient bien que quelques hommes sages lui apprissent à la conserver. J’ai quelque pressentiment qu’un jour, cette petite île étonnera l’Europe. »
JJ Rousseau, Le Contrat social, Livre II, Ch X, 1762.
La Corse est un royaume non une république, car la vierge Marie en est la reine et la protectrice.
*L’exécutif est composé d’un Conseil d’État dirigé par le Général en chef de la Nation, qui exerce le pouvoir gouvernemental. Il dispose de l’armée ainsi que de la justice. Ainsi, il ne faut pas juger la Constitution sur nos standards actuels, ce qui nous ferait dire que Paoli était un despote éclairé, mais sur les standards de l’époque.
Ce Conseil d’État est composé de 144 membres, dont 36 Présidents et 108 Conseillers. Ces magistrats sont élus et se répartissent en trois chambres, finances, guerres et justice.
*L’assemblée représentant le Peuple est la Diète, élue directement par le peuple.
Toute personne âgée de 26 ans peut voter à l’élection de la Diet générale, assemblée représentant le peuple. Les femmes aussi ont le droit de vote selon des cas particuliers.
Sa compétence concerne les lois, les impôts et les affaires politiques.
Tout fonctionnaire, y compris le Général (Paoli) est responsable devant l’assemblée.
La Diète est convoquée une fois par an. Le Général présente le bilan de son gouvernement et un panel de magistrat est chargé d’évaluer l’action publique.
* Le reste du texte codifie des dispositions pénales.
Les principales mesures :
Si la Constitution représente le coup de génie de Paoli, elle n’est pas le seul accomplissement du Général, car tout, à ce moment-là est à faire, d’une colonie il s’agit de faire une Nation.
Une volonté de rétablir la justice :
Si la gestion des terres est de nature publique (Terra di Cummune), la justice est quant à elle privée, codifiée par une série de coutumes. C’est que l’on appelle la vendetta. Ce phénomène est de plus gravement favorisé par le fait que Gêne ayant autorisé le port d’arme afin de permettre à la population de se défendre. Le nombre de meurtres est de 900 chaque année, mais il convient de prendre ce chiffre avec des pincettes, car Gênes avait intérêt à le gonfler afin de justifier sa présence en tant que force de maintien de l’ordre.
La Vendetta est un poison que Paoli souhaite éradiquer, car l’État Corse en construction ne peut se permettre se voir fragilisée par ces luttes meurtrières, et surtout sans fin, car il y a toujours quelqu’un à venger.
La justice de Paoli sera très sévère, toute personne s’étant livrée à la vendetta sera condamnée à mort. Cette politique fortement répressive portera ces fruits. Nous laissons ici de côté toute forme de jugement moral toujours facile à proférer en dehors d’un contexte. Il refusera d’ailleurs de gracier le fils d’une personne influente, afin de garantir la crédibilité de sa politique.
Dans le même temps, il souhaite éviter l’arbitraire des tribunaux, ce qui est très moderne pour l’époque. C’est le principe de légalité des peines.
Veut-on qu’il n’y est point d’arbitraire dans les jugements des tribunaux ? Que la loi soit claire et le crime nettement défini. La réaction contre l’arbitraire est une seconde nature chez les Corses. (Circulaire aux magistrats provinciaux)
La reconnaissance de la Nation :
– Peintures des chefs morts dans la salle du conseil à Corte
– Exonération fiscale pour dix ans des héritiers des soldats morts pour La Patrie
– Nouvelle version de la « Bandera » avec le bandeau de la tête maure relevée sur le front.
La marine de guerre :
La volonté de Pasquale Paoli de construire une marine, répond à plusieurs objectifs dont les principaux sont de perturber le commerce la République de Gênes, ainsi que d’obtenir une forme de reconnaissance internationale par la reconnaissance du Pavillon. C’est la Consulte du 10 mai 1760 qui décida de porter la lutte en mer. La Corse connaît d’importantes ressources en bois, mais l’entreprise est difficile. En 1761, la flotte compte quatre bâtiments, nombre qui sera étendu à sept par la suite. Ce sont des bâtiments légers, commandés par des marins de qualités. Même ne faisant pas le poids face aux navires Génois, la flotte remplit son objectif de perturbation du commerce de la Sérénissime République.
Enfin, malgré la faiblesse des moyens, la prise de l’île de Capraia donnera un avantage stratégique aux Corses.
Mesures financières et économiques :
– 14 mai 1761 ; 24 et 25 novembre 1762 : création d’une monnaie.
Celle ci est frappée à La Zecca, l’Hotel Corse des monnaies à Murato et sera ensuite transféré à Corte.
– 14 mai 1761 : Création du papier timbré
– Consulte de mai 1764 sur la surveillance du commerce dans ses prix et la qualité des marchandises
– Les poids et les mesures sont uniformisés en mai 1764
La fondation de l’Île Rousse :
Calvi la Génoise devait être contrebalancé par un port maîtrisé par le gouvernement de Paoli. La ville de l’île Rousse rempliera ce rôle est sera créé par Paoli en 1763. Ville modeste, son importance stratégique est considérable pour le commerce.
L’université :
« Sapere Aude » ou « Ose le Savoir » tel était la devise des Lumières convaincus que la liberté de l’individu se forgeait par la connaissance. Paoli, homme des lumières, s’inscrit dans cette philosophie et crée une Université à Corte afin que cette dernière formât des cadres pour la Nation.
Son principe est acquis en mai 1764, en novembre 1764, le programme des études est publié.
Fermée en 1769, puis rouverte en 1981, l’Université porte aujourd’hui le nom de Pasquale Paoli (www.univ-corse.fr), atteint l’âge de la maturité, et compte environ 4000 étudiants.
Pascal Paoli et Jean-Jacques Rousseau
La participation du Peuple aux affaires publiques de l’État qu’organise la « Constitution » de Paoli étonne et impressionne JJ Rousseau qui voit dans cette entreprise inédite un exemple.
Par l’intermédiaire de Buttafuocco, Rousseau écrivit un projet de Constitution pour la Corse. Mais Paoli écarta l’idée. Il avait mis en place des institutions qui fonctionnaient depuis près de 10 ans et il avait peur qu’un non-corse ne saisisse qu’insuffisamment les subtilités de la culture insulaire.
En revanche, la renommée de Rousseau, associée à son intérêt pour la Corse, pouvait servir utilement la cause du Général.
Enfin, c’est JJ Rousseau qui conseilla au jeune Écossais James Boswell d’effectuer un voyage en Corse et y rencontrer ce chef des Corses encore mal connu.
« Un compte rendu de la Corse, et Mémoires de Pascal Paoli », James Boswell.
« Je crus trouver en Corse, écrit-il, ce que personne n’allait voir, et ce que je ne trouverais en aucun autre endroit au monde ; un peuple combattant actuellement pour sa liberté, et s’élevant par ses propres forces d’un état de bassesse et d’oppression à celui du bien-être et de l’indépendance ».
James Boswell est écossais. Issu de la noblesse de robe, son désir est cependant de devenir écrivain.
Il était de coutume à l’époque que les jeunes hommes s’en allèrent en voyage sur le continent afin de parfaire leur formation. Sur les conseils de JJ Rousseau, il décide de se rendre en Corse. Porteur d’une lettre de recommandation de ce dernier, il débarque à Centuri (cap Corse) le 12 octobre 1765. Il est alors âgé de 25 ans.
Il rencontre Paoli le 22 octobre à Sollacaro. De cette rencontre va naître une solide amitié entre les deux hommes. Mais le premier contact est plutôt froid. Paoli se sait menacé, il est donc méfiant. Mais après s’être rendu compte de la qualité du jeune homme, il le reçoit avec tous les égards. Boswell dînera toujours aux côtés de Paoli, et sera accompagné d’une garde d’honneur à chacune de ses sorties.
Ses conversations avec Paoli l’impressionnent. Il est surpris par l’étendue de ses connaissances et son érudition classique. Ce sont aussi les qualités morales de Général qui l’impressionnent.
« Je voyais en Paoli mes idées les plus grandes se réaliser, écrit-il ; il m’était impossible, quelles que fussent mes spéculations, d’avoir en le voyant une idée médiocre de la nature humaine ».
Dans son enthousiasme, Boswell qualifie la Constitution du Royaume « meilleur modèle qui n’ait jamais existé dans la forme démocratique ».
Ainsi que l’analyse Dorothy Carrington, Paoli poursuit à ce moment-là, deux buts. Le premier est de populariser sa cause en Angleterre et peut être incité le Roi à lui apporter son aide. Le second est de faire croire aux Corses que cette aide est déjà acquise et ainsi les galvaniser plus encore.
Dès son retour Boswell se lance dans une campagne énergique de promotion de la cause corse. Il voulut user de l’influence de William Pitt afin que l’Angleterre se déclarât en guerre contre la France afin de sauver la Corse.
N’y parvenant point, il ouvrit cependant une souscription qui permit l’envoi de canons au moment de l’invasion de l’intérieur de l’île par la France.
Lorsque son livre paru juste avant le début des hostilités, ce fut un vrai succès de librairie qui passionna les lecteurs de l’époque. Le mythe de Paoli était forgé. Devant cet enthousiasme populaire, les politiciens ne restèrent pas indifférents, et il en fallut de peu pour que l’Angleterre n’intervienne afin de sauver la cause des Corses.
« Irresponsables comme nous le sommes, prononça le ministre Lord Holland, nous ne pouvons êtres aussi irresponsables que d’entrer en guerre parce que Monsieur Boswell est allé en Corse ».
Le livre connut aussi un succès international, notamment dans les colonies américaines où l’expérience de Paoli était suivie avec le plus grand intérêt.
La République de Gêne aux abois
La Sérénissime République tient de plus en plus difficilement sa position en Corse. La présence de Gène est alors surtout effective sur les côtes à des endroits stratégiques tels que Calvi et Bastia.
De son côté, le Royaume de France a connu une série de déconvenue dans ses colonies. La Corse représente une position stratégique en méditerranée, notamment dans la lutte d’influence contre le Royaume-Uni installé à Gibraltar. De plus les ressources en bois de l’île sont importantes, et ceci est vital pour la construction de navires.
La France, venue en renfort à partir de 1764 s’installe vers Bastia, et demeure neutre. Elle établit des relations diplomatiques avec le gouvernement de Paoli. Chacun se jauge. Paoli et Choiseul entretiennent une correspondance cordiale. Se voulant rassurant, Choiseul affirme plusieurs fois que la France n’a pas d’intention belliqueuse envers le Royaume de Corse.
Mais en 1768, par le Traité de Versailles, la Corse est donnée en gage à la France par Gêne. Elle ne fut pas vendue contrairement à l’idée généralement répandue. Si Gêne rembourse sa dette, elle récupère la Corse, si elle ne paie pas, la France conserve la Corse. C’est le principe du gage. Le traité est subtil, en effet, la France, selon ce traité qui mit fin à la guerre de Sept Ans n’a pas le droit d’annexer de nouveaux territoires. Donc le Royaume de Corse existerait encore après la prise de contrôle, mais ne serait pas « annexer » en droit. Dans les faits la France exerce sa puissance administrative et militaire sur le territoire…
Le regard de Voltaire
Voltaire évoque dans son « Précis du siècle de Louis XV » ces événements. S’il justifie la conquête, il s’interrogera cependant sur un point capital :
« Il restait à savoir si les hommes ont le droit de vendre d’autres hommes ; mais c’est une question que l’on n’examinera jamais dans aucun traité. »
Le même Voltaire écrira dans une lettre à Marie Louise Denis que « Toute l’Europe est Corse », et décris ainsi le climat de sympathie qui règne à ce moment-là pour la Corse.
Le déclenchement des hostilités
Une consulta réunit à Corte dénonce le traité, et Paoli prépare une guerre difficile, la France disposant de la meilleure armée d’Europe. Il espère l’aide d’autres puissances européennes. Mais aucune n’est prête à rentrer en guerre contre la France pour sauver cet espace constitutionnel unique, l’Angleterre y compris malgré l’activisme de Boswell. Les Corses eux-mêmes sont très divisés. L’idée d’une Nation corse unie pour sauver la patrie contre la Nation française est une idée simpliste et fausse. Plus que la puissance militaire française, la vraie menace est dans la division.
Au corps expéditionnaire français s’ajoutent deux divisions de volontaires corses commandés par Mathieu Buttafuoco. Aussi les défections s’accumulent dans les rangs de Paoli. La Casinca et le Nebio ont été livrés à la France par des Corses…
L’or a permis de rallier plusieurs chefs hésitants et la France, grand pays catholique bénéficiait d’un a priori favorable.
Le Corps expéditionnaire français était composé de 20 000 hommes entraînés disposant d’une logistique complète et performante.
En octobre 1768, les Corses remportent pourtant une victoire à Borgu au sud de Bastia.
La guerre apparaît comme plus difficile que prévu pour le corps expéditionnaire.
La rencontre décisive est fixée à Ponte Novu. Il s’agit d’un pont qui permet de traverser le fleuve Golu.
Paoli a réuni plusieurs milliers d’hommes afin de barrer la route des Français avant Corte. La plupart sont des bergers, et malgré l’embryon d’armée nationale, le déséquilibre des forces est important. Paoli a aussi recruté des mercenaires prussiens afin de garder le pont.
1er-9 mai 1769, Ponte Novu
Si les Corses rencontrent quelques succès d’estime, la bataille se terminera par une défaite. Celle-ci marque la fin de l’indépendance de la Corse. Les pertes corses furent élevées et s’élevèrent à 4500. Surtout, cette bataille représente plus qu’une guerre entre deux Nations. Ce jour-là, ce sont affrontés la Liberté représentée par la Constitution démocratique et la monarchie absolue de droit divin. C’est une bataille chargée de symbole comme le fut la bataille de Gettysburg entre les « nordistes » opposés à l’esclavage et les « sudistes » qui était pour. Ponte Novu n’appartient pas qu’aux Corses, elle appartient à l’histoire universelle de la Liberté.
Voltaire écrit admiratif : « L’arme principale des Corses était leur courage. Ce courage fut si grand que vers une rivière nommée Golo, ils se firent un rempart de leurs morts pour avoir le temps de charger derrière eux ; leurs blessés se mêlèrent parmi les morts pour affermir le rempart. On ne voit de telles actions que chez les peuples libres ».
Pascal Paoli part en exil le 14 juillet 1769, il embarque pour Naples à partir de Porto Vecchio avec une poignée de fidèle. Sa destination finale : Londres.
Les notables avaient trahi alors que le peuple était resté fidèle à Paoli et à son idéal. Même s’il faut toujours nuancer ce type d’affirmation, elle décrit bien la situation politique et sociale de l’époque. Paoli lui-même attribuera plus les causes de la défaite à cette division qu’a l’avantage technique de l’armée française.
Il écrivit avant de partir en exil : « Nos malheureux concitoyens, trompés par quelques chefs corrompus, sont allés eux-mêmes au-devant des fers qui les accablent »
Citations de Pascal Paoli.
Source : Pasquale de’Paoli, Goerges Oberti.
Là où il est peu de sentiment religieux, il faut beaucoup de lois répressives. Il serait plus facile d’aplanir le Monte-Rotondo que de conduire une société sans idée morale (Instructions aux syndicats).
Le plus grand supplice pour un homme d’esprit est de se trouver pendant des heures face à face avec un sot (Lettre à Grimaldi d’Estra).
Veut-on qu’il n’y est point d’arbitraire dans les jugements des tribunaux ? Que la loi soit claire et le crime nettement défini. La réaction contre l’arbitraire est une seconde nature chez les Corses (Circulaire aux magistrats provinciaux).
L’énergie du Corse vient moins de son organisation que la dureté des temps qu’il a traversés. Il serait moins brave s’il avait été plus heureux. Les douceurs d’une civilisation avancée en feraient bientôt un peuple comme tous les autres (Mots de Paoli recueillis par son secrétaire).
La guerre qui développe les forces du corps retrempe en même temps l’âme, mais souvent aussi elle l’endurcit. Nous lui devons une grande partie de nos vertus et quelqu’un de nos vices (Mots receullis par son secrétaire).
Or que penser de l’habileté d’un gouvernement qui frappe un peuple dans ceux qu’il a de plus cher et lui interdit et lui interdit ce qu’il ambitionne davantage ? Aussi, quand je voulais raviver la haine de mes compatriotes contre les Génois je remettais sous leurs yeux les décrets qui les excluaient de toutes les places (Extrait de notes autobiographiques).
Quand la fortune ou le crédit ont rompu l’égalité, l’énergie individuelle a bientôt rétabli l’équilibre (Extrait d’un discours, 1758).
Le Corse oublie plus aisément l’oppression que le mépris. Il lui en coûte moins de s’avouer vaincu que trompé. Cette crainte le rend circonspect et défiant. Il ne pardonne jamais à celui qui a voulu le faire passer pour un sot ou pour un lâche (Pensées).
L’orgueil fait plus de meurtriers que la haine, et les vengeances seraient moins fréquentes si elles ne faisaient pas supposer le courage et la puissance individuelle (Pensées).
Si vous voulez que le Corse vous écoute avec attention, n’ayez pas l’air de lui imposer vos idées. Il ne se soumet pas plus au despotisme de la parole qu’a celui des actes (Instruction aux Podestà).
Les Corses reconnaissent difficilement la supériorité des autres. Il y plus de réflexion que d’engouement dans leur admiration. Mais dès qu’ils croient à l’habileté, ils suivent aveuglément l’impulsion qu’on leur donne (Extrait d’une lettre à Monsieur de Marboeuf).
La sobriété chez les Corses est moins une vertu qu’une nécessité de position. Accoutumés aux malheurs et aux privations, ils apprennent de bonne heure à se passer de ce qui n’est pas indispensable à la vie. Ils veulent, dans leur orgueil, dompter la nature et rester maîtres du sort (Lettre à Pietri de Fozzano).
Avant de dire qu’il ya de la grandeur dans un peuple, il faut attendre qu’il est subi l’épreuve de l’adversité. Pour les nations comme pour les individus, le véritable héroïsme consiste dans le sacrifice de soi (Notes inédites de Paoli).
On s’étonnait qu’avec tant d’homicides il y eût si peu de Corse qui se donnât la mort. M. de Volney en faisant un jour la remarque. « C’est parce qu’il y a moins de cerveau malade qu’ailleurs répondit Paoli ». (Tradition)
Pour en savoir plus
Premier exil et retour en Corse
Après un exil de vingt ans, il se rallie à la Révolution française. Rappelé en 1790 dans sa patrie, son voyage de Paris en Corse est une véritable marche triomphale ; il est accueilli en particulier par Lafayette. Il est reçu le 22 avril 1790 par l’Assemblée nationale puis, le 26, par le club des Jacobins, alors présidé par Robespierre, qui l’admet à l’unanimité en son sein5. Louis XVI le nomme alors lieutenant-général et commandant de l’île. Il débarque le 14 juillet 1790 à Macinaggio pour son retour en Corse, où il est accueilli triomphalement par la population. Paoli part en exil avec 500 ou 600 de ses partisans. Embarqué à destination de la Grande-Bretagne, il se fait acclamer à son passage par ses admirateurs d’Italie et de Grande-Bretagne, en passant par l’Autriche ou encore les Pays-Bas. Son combat est en effet devenu célèbre à travers l’Europe grâce au récit de voyage du Britannique James Boswell, An account of Corsica : the journal of a tour to that island and memoirs of Pascal Paoli (1768).
Cependant, les relations entre Paoli et la Convention se ternissent, notamment suite à l’échec de l’expédition de Sardaigne et les manigances de Pozzo di Borgo, homme lige de Paoli. Il contrôle de plus en plus le directoire de Corse et met des hommes qui lui sont proches. Suite à la défection de Dumouriez, la Convention ordonne le 2 avril 1793 l’arrestation de Paoli, dont le pouvoir était contesté et les tractations avec l’Angleterre suspectées, et le déclare « traître à la République française ».
En réponse, Paoli enclenche une épuration des opposants à son autorité (notamment la famille Bonaparte) et prend le contrôle d’une grande partie de l’île. Une Consulte générale se réunit à Corte le 10 juin 1794. Entièrement entre ses mains, celle-ci l’élève au rang de Babbu di a Patria (« Père de La Patrie »), et ses représentants jurent fidélité au roi de Grande-Bretagne et à la constitution que ce prince a offerte, qui établit un Parlement et un vice-roi. Le rapprochement avec la Grande-Bretagne s’accélère pour chasser les Français de Corse et fonder un royaume anglo-corse. Paoli s’adresse officiellement à la Grande-Bretagne, dont le gouvernement, saisissant avec empressement une semblable occasion d’augmenter ses possessions, envoie aussitôt dans la Méditerranée une flotte sous le commandement de l’amiral Hood, avec ordre de s’emparer de la Corse. Les forces françaises qui se trouvent dans l’île sont en trop petit nombre et désorganisées par les purges révolutionnaires pour pouvoir résister longtemps. Les villes maritimes ont beaucoup à souffrir. Calvi surtout se fait remarquer par sa résistance à l’occupation anglaise et est entièrement ruinée. Paoli use de tout son pouvoir pour imposer le passage de l’île sous domination britannique.
Le Royaume anglo-corse et le second exil
Il quitte la Corse avec regret, mais résignée, et retourne à Londres pour un exil définitif, où il meurt le 5 février 1807, à l’âge de 81 ans. Écarté par les Britanniques du titre de vice-roi, Paoli, mécontent de la conduite que tiennent les Britanniques, se retire à Monticello. Toutefois, ses ennemis jugeant plus prudent de se débarrasser d’homme dont l’influence est encore assez grande pour faire perdre aux Britanniques tout ce qu’il leur a donné, le vice-roi, sir Guillaume Elliot, demande à son gouvernement de le rappeler en Grande-Bretagne.
Cet homme dont la vie privée est mal connue laisse, par son testament, une somme importante pour fonder à Corte une université, et à Morosaglia une École primaire supérieure.
Le mythe de Pascal Paoli, « babbu di a Patria » (« père de La Patrie ») est encore très vivant et présent dans l’île. Ses cendres reposent aujourd’hui dans son village natal de Morosaglia. Son cénotaphe se trouve à l’abbaye de Westminster à Londres.
Hommages
L’université de Corse, qu’il avait fondée sous le généralat en 1765, fermée par l’armée de Louis XV en 1769 et rouverte en 1981, porte son nom.
Aux États-Unis, les Fils de la Liberté se disaient inspirés par Paoli et son combat contre le despotisme. Ebenezer McIntosh, l’un des chefs des Fils de la Liberté, baptisa son fils Paschal Paoli McIntosh en son honneur. En 1768, le rédacteur en chef du New York Journal décrivit Paoli comme « le plus grand homme de la terre ».
Aujourd’hui, pas moins de cinq communes américaines portent le nom de « Paoli » : en Pennsylvanie, où la ville doit son nom à la « General Paoli’s Tavern », un point de rencontre des Fils de la Liberté, dans l’Indiana, le Wisconsin, l’Oklahoma et le Colorado. C’est ainsi que, lors de la guerre d’indépendance des États-Unis, une bataille a opposé l’armée continentale des insurgents aux troupes britanniques à Paoli (Pennsylvanie) en septembre 1777.
Et en France rien, même pas dans les livres d’histoire !!!
Ouvrages ayant servi à la création de cette Biographie :
« Pasquale de’Paoli » de Goerges Oberti
« Pascal Paoli », Antoine Marie Graziani, Tallandier (2004).
« Un compte rendu de la Corse et Mémoire de Pascal Paoli », James Boswell